A lire

quelques nouvelles non publiées et
quelques critiques de livres

23.12.09

Quignard, Duras, Laurrent et autres

Quelques lectures de ces trois dernières semaines...
Quignard :
La nuit sexuelle ( "J'ai lu" ) et La Barque silencieuse ( "Seuil" ):
Con-vergence:
Même thème repris dans ces deux ouvrages, dans le chapitre XXXII de la nuit et dans le chapitre CLXXII.
La fille de Dibutade " Elle se penche au-dessus de sa tête pour tracer la ligne que trace son ombre sur le mur." ( la nuit)
"Avec le morceau de charbon, elle préféra délimiter le pourtour de son ombre sur la face du mur qui se dressait de derrière lui."( la barque).

Duras:
Emily L ( Minuit"):
Redondance:
" Je vous ai dit qu'il fallait écrire sans condition, pas forcément vite, à toute allure, non mais selon soi et selon le moment qu'on traverse,soi, à ce moment là, jeter l'écriture"

Laurrent :
A la fin ( "Minuit")
Narcissique, "précieux":
"Je disposai quelques feuilles de papier vierge..."

Dutertre:
La petite fille et la cigarette ( "Fayard")
Déprimant ou lucide:
Pas trouvé de phrase à relever en particulier.Style "classique"

Avril:
Dictionnaire de la passion amoureuse ( "Plon")
Dans la littérature:
un vrai poisson,que des lieux communs.

Kyoichi Katyama:
Un cri d'amour au centre du monde ( "Presses de la cité" ):
dépaysement:
Pour approcher le monde des adolescents japonais et leur rapport à la mort.





21.12.09

BORDEAUX: LA GARE SAINT-JEAN( 3)

Voilà que, la petite de Christine, elle s’appelle Marion, venue voir sa mère au sortir de l’école lui réclame une friandise. Christine proteste « Non, non, n’embête pas le monsieur ». Le monsieur assis se lève pour lui acheter cette babiole – c’est ça l’enfance aimer les babioles- et sent tout à coup ses mains trembler, sa vue se brouiller.

Il tente de se contrôler. Il accroche son regard aux panneaux départs et arrivées. Sauf qu’au lieu de chiffres c’est une image qui s’imprime devant lui.

Un souvenir qu’il avait oublié, comme si une boussole au lieu d’indiquer le nord indiquait le temps du passé, lui tourne la tête, sa tête une girouette, un tumulte dans sa tête, au moment précis où il réceptionne la barre de toblerone dans la main pour la tendre à Marion.

En 1943, il retrouvait de temps à autre au jardin public Lila Mendès. Vincent Dastarac avait autour de dix ans, Lila douze peut-être. Ils s’étaient connus par hasard huit mois auparavant, et aimaient être ensemble. En grand secret. Parce que Lila, souvent inquiète, lui répétait qu’elle venait là en cachette, qu’elle était une fille cachée. Le 9 juillet exactement, impatient comme d’habitude de voir son sourire doux et ses cheveux bruns, de l’entendre crier « Alors Vincent, on se promène ?» alors qu’il guettait son arrivée, il sentit au fil des heures les carrés de chocolat qu’il avait l’habitude de lui offrir fondre dans sa poche.

« Combien de temps ai-je attendu ? »

( FIN de l'extrait)

20.12.09

BORDEAUX: LA GARE SAINT-JEAN (suite 2)

Dastarac se souvient que son éducation chez les jésuites à Tivoli le poussait à penser le temps et l’éternité, les trois éternités : celle qui n’a ni début, ni fin. Dieu. Celle qui a un début mais n’a pas de fin. L’âme. Celle qui n’a pas de début, mais une fin. Et celle là, il ne sait plus qui elle désigne. A force de soliloquer, il se retrouve, sans une conscience bien claire de son itinéraire, devant les portes de la gare qui s’ouvrent comme si elles le reconnaissaient. Sans hésiter, il se dirige vers « L’Open café ». Et il s’attable.
C’est un vieillard désormais assis qui prononce dans sa tête et parfois à voix haute des mots pour qu’ils lui tintent aux oreilles. Une expiration de paroles tremblantes. Un souffle léger. C’est un homme qui parle tout seul. Comme il y en a beaucoup. Un employé, veste bleue, casquette jaune est juché sur une espèce de chariot robot qui efface toute trace de ces déchets que le vent d’ouest ramène avec persévérance sous les interstices des portes. Dastarac perd le fil de sa pensée parce que la serveuse, Christine, lui apporte enfin le thé et le canelé qu’il réclamait. Elle doit avoir une trentaine d’années, un grand appétit de la vie et un petit salaire. Il lève la tête. Près de la «Pomme de pain », un groupe de jeunes rit aux éclats. Ils étaient dans le même compartiment taggé 2 ème classe d’un Train express régional : ils s’échangent visiblement des adresses et avec l’index enregistrent les numéros des téléphones portables des uns et des autres. On ne choisit pas forcément son wagon. On ne peut pas le nier : ça grouille dans la salle des pas perdus. Des loden et des foulards Hermès fréquentent des Kway et des tatouages sur des hanches à demi dévoilées, tout ce qui signe l’enclos et la tribu à laquelle on appartient. Les enfants disent « mamon », les drôles « m’an », les uns disent vêtements, les autres gueilles.l l constate que les bancs ont disparu, que des employés ont disparu, que des arrêts ont disparu.( A suivre)

BORDEAUX: LA GARE SAINT-JEAN

Le vent se cabre sur les passants, dos courbés, ventres creusés, têtes inclinées, et galope sans relâche sur les pavés et le bitume. Comme un quadrige déchaîné.
Depuis deux jours, la tempête océane déchire les accents, brouille les phrases arrondies et les mains en palabres des bordelais qui fuient le Port de la Lune et le quai des Chartrons. Les feuilles sont en haillons, la Garonne d’un gris fumeux, la pierre blonde noircit.
La ville, volets fermés, globes oculaires affaissés dont le réflexe pupillaire a disparu, est, sous cette tourmente, d’une rigidité de fer qui bloque le halètement de ses venelles, le pouls de ses rues et le flux de ses avenues. Hébété contre la porte en chêne clair, qu’il vient de refermer, du liquidateur Vartan, quai de Paludate, Vincent Dastarac cherche son souffle dans la nuit en marche.
Vartan vient d’agiter sous son regard effaré la longue liste des créanciers, résultat des avanies subies dans son entreprise de négoce. Dastarac avait cherché des mots et des explications à ce naufrage. Parce que les cours du bois ont baissé de trente pour cent en huit ans, parce que les incendies de forêts au Portugal attisés par le vent violent ont généré d’innombrables grumes et fûts monnayables sur le grand marché, parce que les actions des Papeteries de Gascogne ont fait la culbute, parce qu’il y a toujours eu une concurrence déloyale de ceux qui injectaient de l’argent inconnu de source inconnue pour faire baisser les prix.
Vartan avait dit.
Que si on n’avait pas voulu connaître les raisons des bénéfices de l’entreprise Dastarac pendant les années de guerre, on ne voulait pas connaître les raisons de ses déficits pendant les années de paix.
Vartan avait dit qu’en tant que liquidateur judiciaire, mandaté par le ministère public et les tribunaux, il prélèverait sur ce qui reste du patrimoine Dastarac de quoi payer ces gens-là.
Et il avait secoué la liste comme pour donner vie à tous ces noms alignés.
Dastarac avait murmuré :
« Vous n’allez pas récupérer grand’ chose. »
Durant ces dernières années, Dastarac avait vu peu à peu disparaître les bons amis avec lesquels il déjeunait à la brasserie d’Orléans, avec lesquels il jouait au bridge cours Xavier Arnozan ou Allées de Tourny. Pour ne pas être éclaboussés, ceux qui étaient au courant de la chose, derrière les contrevents fermés de leurs maisons silencieuses, lui ont tourné le dos et plus encore quand il s’est dépouillé, sous le coup de nouvelles turbulences, de ses pins, de quelques hectares de vigne dans le Saint-Estèphe, pour tenter d’injecter un argent frais dans sa comptabilité.
Dastarac soupire devant la porte fermée, devant la prophétie d’une liquidation judiciaire proche, tandis que le vent d’ouest forcit, que les arbres nus oscillent comme des métronomes.
Des papiers informes dansent un rondeau sur le trottoir transformé en bourrier.
Dastarac se reprend, affronte les bourrasques de ce 21 décembre.
Pour aller à la gare Saint-Jean.
Il marche jusqu’au tournant de la rue de Saget. La noria des bus, taxis, voitures, tramway est le sang de cette ville, depuis que le grand fleuve a été abandonné. La gare, cœur agité, souvent en crise de tachycardie, a accéléré le nomadisme et les échanges. ( A suivre...)